Il en faut pour tout le monde quand meme !!
Ils chaussent du 50 et n’ont plus que quelques dents. Déplaçant laborieusement leur immense carcasse, ils dépassent facilement le quintal et ne passent pas inaperçus. Ils sont… les deuxièmes barres.
Le 4 et le 5 forment généralement une belle paire de mules.
La principale fonction d’un seconde barre, comme on dit dans le jargon, c’est de pousser en mêlée et de sauter en touche.
Bien évidemment, ne pas prendre le verbe "sauter" au pied de la lettre car l’immense majorité de ces Gulliver de l’ovale éprouvent les pires difficultés a s’arracher du plancher des vaches. Soit il est une deuxième ligne "moderne", c’est-a-dire parfaitement filiforme, presque athlétique et dans ce cas comme le règlement l’autorise, ses copains peuvent le soulever très haut pour qu’il s’empare du ballon, soit c’est une deuxième ligne "a l’ancienne" : 120 kg et une détente verticale de morse sur la banquise, ce qui le rend inutile dans l’exercice de la touche.
Dans ces conditions, il convient hélas de constater que le gros deuxième ligne est une espèce menacée, un peu comme les éléphants d’Afrique.
C’est bien dommage, car le bougre a une place bien a part dans le paysage rugbystique, voire dans le sport en général.
Quelle discipline autre que le rugby aurait bien pu accueillir de pareils mastodontes, aussi vaillants que vicelards ? Eh oui, les 4 et 5, le fameux attelage de la mêlée, les deux poutres, occupent des postes si particuliers dans la conception traditionnelle de ce sport, qu’ils ont façonné leur propre mythe.
Au cour de la mêlée, enfermés dans la cage, les deux cerbères sont dans le secret des dieux : eux-seul savent vraiment ce qui se passe sous cette éphémère bâtisse de seize corps humains dont ils forment l’indestructible clé de voute.
L’art de la mêlée relevée
En l’occurrence, rien de très romantique, puisque seuls les deuxièmes lignes cultivent l’art de la mêlée relevée.
Les deux géants occupent un poste stratégique dans la cabane : bien campés sur leurs appuis, ils ont toujours un bras de libre, celui qu’il passe sous les cuisses des piliers de façon a bien s’arrimer.
Et puis, quand le moment est venu, quand le deuxième barre a bien prémédité son coup, ou quand il entend le signal (le 9 annonce une « Gabriel ») il exerce de ce bras un savant mouvement de balancier sous la mêlée en direction du camp adverse.
Résultat : une tomate dans la gueule du talonneur, la mêlée se releve, c’est l’échauffourée.
Sous ses airs de géant débonnaire, avec son élasto qui lui écrase les arcades, sa vaseline qui déborde et ses Rivat montantes, le bon vieux deuxième ligne pourrait faire rire les enfants, comme le ferait un monstre gentil.
Il n’en est rien. Le seconde barre de métier est un concentré de vice, un type bien énervant qui vous nargue en arborant un sourire sardonique tout en protège-dents.
Il ne s’énerve jamais et accomplit tous ses gestes, même les moins recommandables, avec un sang-froid de professionnel.
Quand ça fait pas de bruit et que ça fait mal, il est probablement passé par la.
Bref, le 4 ne s’embarrasse pas avec le maniement de la balle, qui se limite au cas échéant a l’arrachage ou a la passe de sac de patates.
Pour le style, on frappe pas vraiment a la bonne porte.
Le deuxième ligne a une vision plus périphérique du jeu.
Tout ce qui tourne autour du ballon l’intéresse.
Une main adverse qui traîne dans un regroupement, un talonneur un peu trop fouineur, une troisième ligne un peu top hardie… et hop, notre deuxième ligne fait le ménage, de façon licite, voire un peu moins si nécessaire.
Aujourd’hui, le rugby moderne consacre le deuxième barre joueur de ballon, coureur, sauteur.
La mort annoncée de nos éléphants d’Afrique.